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WEEDYLAND TIMES

Feminin:Cannabis, les femmes aussi ont leurs habitudes

Après sa journée au boulot, Karine Cyr a son rituel: elle prend sa dose de cannabis, puis elle se retrousse les manches et s’attaque au souper. Depuis qu’elle a pris cette habitude, il y a un an, cette période de pointe – qu’elle assume seule puisque son conjoint revient du travail tard en soirée – lui paraît beaucoup plus facile à gérer. Elle ne pète plus sa coche toutes les 10 minutes parce que ses rejetons de 2 et 5 ans ne l’écoutent pas ou se barbouillent la figure de sauce à spaghetti. « Je suis beaucoup plus empathique et j’embarque dans leurs jeux. Le cannabis fait de moi une meilleure mère », assure cette entrepreneure en communications de 35 ans.


Elle qui n’avait pas grillé un pétard depuis une éternité a renoué avec ce psychotrope lorsqu’elle a vécu de l’anxiété et éprouvé des difficultés à dormir en raison du sommeil intermittent de son plus jeune. « Je me suis bien informée sur le dosage. Grâce à la mari, je dors mieux que jamais, je gère plus efficacement mes émotions et je suis plus créative. Ça a changé ma vie! » dit la Longueuilloise.


Enchantée par tous ces bienfaits, Karine Cyr a décidé de répandre la bonne nouvelle. En septembre 2018, elle a lancé Des fleurs ma chère, un site web et une page Facebook portant sur la marijuana, où les femmes échangent sur les manières d’intégrer la consommation de cette drogue à leur mode de vie. Six mois plus tard, son groupe Facebook comptait déjà plus de 1 000 membres!


Un mouvement contagieux

Depuis la légalisation au pays de cette herbe aux effluves de moufette, le 17 octobre 2018, l’intérêt explose chez les femmes. Jusque-là très discrètes au sujet de leur utilisation du cannabis, elles s’affichent désormais de plus en plus ouvertement. À preuve: 1,9 million de Canadiennes déclaraient avoir consommé du cannabis au premier trimestre de 2019, soit 100 000 de plus qu’à la même période en 2018, indique Statistique Canada.


Cette mouvance, baptisée Women and Weed, a pris racine aux États-Unis et dans l’Ouest canadien. Elle fleurit maintenant au Québec. Objectif de ses adeptes: propager une image positive des consommatrices, à mille lieues du stéréotype de la personne amorphe, évachée sur un divan, les yeux rougis et les deux mains dans un bol de chips. Des femmes actives et en santé posent de manière stylisée sur Instagram, un joint au bout des doigts, vantant les vertus de cette herbe, prohibée au Canada pendant près d’un siècle. L’air de dire: je consomme donc je suis.


La donne a donc changé. Adieu transactions de drogue avec des individus louches, bonjour achat légal de produits de qualité dans un environnement sûr! Les femmes, il est vrai, sont encore et toujours moins nombreuses que les hommes à faire le pied de grue sur le trottoir, devant les succursales de la Société québécoise du cannabis (SQDC). Mais elles sont tout de même là. Et elles exigent déjà qu’on leur propose des articles intéressants. « Pendant longtemps, c’est comme si on avait oublié la clientèle féminine », reconnaît Adam Greenblatt, ancien militant montréalais pour la légalisation et maintenant porte-parole du producteur Tweed.


L’industrie de l’or vert l’a compris et est passée en mode rattrapage, avec pour objectif de créer des produits qui répondent aux goûts et aux désirs des femmes. Comment? Là est la question. On fait des essais. « On sait qu’il n’y a pas que le buzz qui les intéresse. Elles cherchent toute une gamme d’expériences et différentes manières de prendre de la mari », dit Isabelle Robillard, directrice des communications chez Hexo, un producteur de Gatineau.


Bienvenue aux dames

Si les femmes consomment toujours moins que les hommes (13 % contre 22 %, selon Statistique Canada), le potentiel de croissance de ce marché fait saliver toute l’industrie. L’opération séduction bat son plein!


Les producteurs jouent sur la teneur en THC, le composé psychotrope responsable de l’effet euphorisant, et en CBD, le constituant non psychoactif de la plante, qui a plutôt des vertus relaxantes. Leur but: trouver les formules qui plairont davantage aux diverses clientèles féminines: étudiantes, mères, femmes d’affaires…



On s’attaque aussi aux saveurs. « Dans quelques années, les usagères auront leur marque de pot de prédilection, comme les amatrices de bière », avance Adam Greenblatt, de Tweed. Pour ce faire, les maîtres cultivateurs modulent la proportion de terpènes – les molécules aromatiques naturelles du végétal – afin de créer une variété intéressante de parfums.


L’arrivée du cannabis bio et des produits sans fumée aux prétentions plus santé, comme les gélules et les atomiseurs, répond également à un objectif unique et avoué: aguicher les femmes.


Et ça marche, estime Camille Chacra, fondatrice d’Allume, un site Internet qui propose toutes sortes d’accessoires. L’esthétique raffinée de ces objets contribue à distancier un peu plus la marijuana du monde interlope et de la délinquance. « On l’associe à un mode de vie sain, où les consommatrices sont des personnes libres qui assument totalement leurs choix », dit-elle. Tout ça pour tenter de contrer la stigmatisation des fumeuses de pot, encore très présente. Dans la société, un double standard persiste: l’homme qui fume est cool. La femme? Une droguée irresponsable. « Surtout lorsqu’on est mère! » insiste Karine Cyr.


Ce double standard, Sarah Louise Casgrain*, 30 ans, le ressent moins depuis le 17 octobre dernier. Elle qui ne fumait que rarement grille maintenant trois joints par semaine. Parfois quatre. « Depuis la légalisation, je me sens plus libre d’y recourir et d’en discuter avec les copines », dit cette Montréalaise.


Caroline Gagnon*, 39 ans, récente convertie, adore quant à elle l’aspect lifestyle dorénavant associé au cannabis. Les comptes Instagram des figures de proue du mouvement Women and Weed n’ont d’ailleurs plus de secrets pour elle. « Je découvre à la SQDC des variétés qui sont bénéfiques pour moi. Fumer est devenu un rituel comme aller au spa », dit-elle. Sans compter que, pour plusieurs, le joint se substitue peu à peu à l’alcool. « Je bois moins, et ça me fait du bien! »


L’industrie de l’alcool n’a pas tardé à réagir. Le cannabis séduit la clientèle? Concoctons-lui une bière non alcoolisée… à base de marijuana. Le brasseur Molson Coors et le producteur de cannabis Hexo y travaillent en ce moment même.


En fait, consommer du pot en le fumant pourrait devenir marginal dans les prochaines années. Les produits dérivés seront accessibles dès décembre. Thés, crèmes pour le corps, brownies, jujubes, huiles à massage envahiront donc sous peu les étagères de la SQDC.


Les sens en éveil

Cette substance psychoactive ne sert plus seulement à faire la fête et à rire à s’en décrocher la mâchoire, elle améliore aussi la concentration et facilite la méditation. Jamais entendu parler du ganja yoga? C’est la pratique de cette discipline dans un état altéré, le mot « ganja » désignant le chanvre en Inde. Cynthia Pétrin, du studio Green Yoga Montréal, en fait la promotion. Pour elle, rien de mieux qu’un joint avant une séance de postures corporelles et de méditation. « En trouvant la bonne dose, on optimise le résultat et son bien-être », dit la yogi, qui a suivi une formation de ganja yoga en Californie avec Dee Dussault, la papesse de cette pratique.


Le cannabis s’infiltre aussi dans la chambre à coucher. Des femmes témoignent d’une vie sexuelle plus satisfaisante sous influence. « J’ai deux enfants et ma libido était à terre, mais la mari m’a redonné le goût. Mes orgasmes sont plus fréquents et intenses », me confie Chantal Clément*, 47 ans. Une affirmation qui est revenue sur le tapis lors de l’interview de plusieurs utilisatrices.


Laurence Desjardins, sexologue et coordonnatrice à l’organisme On SEXplique ça, qui offre des services d’éducation sexuelle, le confirme. « Le cannabis apporte en général euphorie, sentiment de bien-être, relaxation, insouciance et augmentation de la perception sensorielle, qui sont tous bénéfiques à la sexualité. Sous son effet, les femmes vivent également davantage le moment présent. Elles se détachent de leurs préoccupations quotidiennes et de leurs complexes », explique la sexologue.


Les orgasmes seraient même plus longs et la fusion avec son ou sa partenaire plus intense, rapporte une étude publiée en 2006 dans la revue scientifique Drogues, santé et société, cosignée notamment par le professeur de sexologie Joseph J. Lévy, de l’UQÀM. Une recension des écrits, effectuée il y a cinq ans par L’Intervenant – Revue sur la toxicomanie et le jeu excessif, indique que les femmes qui consomment souvent du cannabis possèdent un niveau de testostérone sanguin plus élevé que celles qui n’ont pas l’habitude de le faire. « Ce qui, résume Laurence Desjardins, peut contribuer à une augmentation des activités sexuelles et de la fréquence des orgasmes. »



Une chocolaterie particulière…

En janvier dernier, dans les installations de Tweed à Smiths Falls, en Ontario, à 75 km d’Ottawa, des ingénieurs planchaient sur une ligne de production de chocolat aux « fines herbes », à deux pas des salles de floraison où poussaient un nombre impressionnant de plants de cannabis sous un éclairage intense.


Le géant canadien Canopy Growth, dont Tweed est une filiale, veut revenir à la vocation première de cette usine, où des milliers de travailleurs ont fait des friandises Hershey’s pendant 45 ans jusqu’à sa fermeture, en 2007. Ses ambitions ne sont pas modestes. La légalisation des produits dérivés de la marijuana dès décembre prochain fait saliver tous les acteurs importants de l’industrie. Dans cette usine en devenir, les immenses cuves en inox et des lignes continues de convoyeurs démontrent que Tweed n’a pas l’intention de fabriquer son chocolat magique de façon artisanale, mais d’inonder le marché canadien avec de la marchandise industrielle. La demande risque d’être là. La firme Deloitte estime le marché du pot comestible et des produits dérivés à 2,7 milliards de dollars annuellement au Canada.


Le public cible de ces produits ne fait pas de doute. « Ils intéresseront les gens qui n’aiment pas l’odeur du cannabis », dit Erica Gilmour, maître chocolatière, en faisant subtilement référence aux goûts féminins. Celle-ci est à la tête du chocolatier ontarien Hummingbird, qui collabore avec Tweed pour l’élaboration de la future gamme de friandises. En 2020, les cadeaux de Saint-Valentin pourraient contenir quelques surprises…


Inoffensif, le cannabis?

La banalisation de l’usage de la marijuana inquiète certains experts, dont Mohamed Ben Amar, pharmacologue et professeur à l’Université de Montréal. « Il y a une perception répandue que le cannabis, puisqu’il est naturel, serait complètement inoffensif. C’est faux. Il s’agit d’une drogue qui peut créer une multitude de problèmes, notamment de dépendance. Il ne faut pas le prendre à la légère », dit l’auteur du livre Le cannabis – Pharmacologie et toxicologie, une référence en la matière.


Il craint, entre autres, l’automédication à outrance. Insomnie? On avale une pilule de cannabis. « Ça ne règle rien. On doit plutôt voir ce qui empêche la personne de bien dormir. Aller à la source. Même chose si l’on souffre de douleurs musculaires ou d’anxiété. La marijuana va peut-être réduire la souffrance, mais ce n’est pas une solution à long terme », avertit Mohamed Ben Amar.


Pour Sandhia Vadlamudy, directrice générale de l’Association des intervenants en dépendance du Québec, le portrait n’est pas si noir.


Elle voit dans la légalisation du cannabis des avantages certains, dont celui d’ouvrir la porte à des études plus poussées sur les bienfaits – ou les méfaits – de cette plante. « Les consommateurs expérimentent, font leurs propres découvertes, dit-elle. C’est une phase très intéressante. Dans quelques années, on aura des données plus probantes sur cette drogue. »


Sandhia Vadlamudy est d’avis qu’il faut relativiser les dangers qui y sont reliés. « Il entraîne beaucoup moins de problèmes que l’alcool, et de loin. On peut consommer de façon responsable en s’approvisionnant de manière légale, car les produits sont contrôlés. C’est autre chose si l’on se procure de la marchandise illégale, dont la qualité est souvent douteuse, voire médiocre », affirme-t-elle.

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